J’ai acquis grâce au bon coin une coticule ayant appartenu à un coiffeur, défigurée par un usage peu soigneux, que j’ai réhabilitée.
Voici une photo provenant de l’annonce de vente :
et l’allure de la pierre telle que je l’ai reçue :
La partie jaune a 10 mm d’épaisseur aux bouts, et moins de 2 mm au plus fin. (La pierre mesure par ailleurs 17,5 × 4,1 cm.)
Mes vues concernant cette pierre étaient
(1) la séparer de son socle (elle y était collée,)
(2) la rendre plate (ce qui impliquait de la décoller pour travailler à l’aise,) et
(3) si possible, la recoller droite (la partie jaune était collée légèrement de travers sur la partie rougeâtre ; ce dont j’ai déduit que la pierre s’était décollée à un moment et avait été recollée par son propriétaire.)
La première étape était de décoller la pierre du socle. Les indices m’ont fait supposer que la pierre n’était à l’origine pas collée au socle, et qu’elle avait été collée au socle en même temps que les parties jaune et rouge avaient été collées ensemble, il y a longtemps, par quelqu’un de peu soigneux. J’ai supposé encore que la colle était de la même qualité que le recollage, et que la méthode la plus simple en viendrait peut-être à bout. J’ai donc fait tremper l’ensemble socle-pierre dans l’eau.
J’ai laissé tremper pendant deux semaines. La colle avait pris une teinte blanchâtre. J’ai tiré sur la pierre… et la partie jaune est venue sans la partie rouge. Je me suis émerveillé de la chance que j’avais eue de ne pas tirer de manière si inégale que la partie jaune eût cassé. Puis, en insistant, j’ai délogé la partie rouge aussi. (Par la suite, le socle, en séchant, s’en fendu en quelques endroits, et le trou pour la pierre a rétréci en largeur. Les fentes ne posent aucun problème, et j’ai facilement et proprement ré-élargi le trou avec un couteau bien aiguisé.)
J’avais maintenant, séparées, une partie rouge qui n’avait visiblement jamais été touchée, et une partie jaune sévèrement concave.
J'ai nettoyé les parties collées, sur lesquelles il restait de la colle, d'abord à la brosse en laiton, puis avec de l'eau savonneuse et une brosse raide. Ces parties n'étaient pas polies, mais rugueuses, pour permettre une meilleure accroche de la colle.
Je devais maintenant recoller la partie jaune sur son support, avant de la planifier. Fine comme elle était, je ne me serais risqué à aucune opération de planification.
J’ai d’abord considéré la résine époxy, comme chez Ardennes-Coticule. Mais pour moi, moins moderne le moyen, mieux c’est – moins industriel, moins toxique, plus facilement réparable. J’ai donc cherché comment on faisait « avant. » J’ai trouvé sur ce forum que les coticules étaient anciennement collées à leur support au moyen de colophane.
La colophane est un composant de la térébenthine ; les autres sont l’eau et l’essence de térébenthine. La colophane est utilisée par les joueur d’instruments à archet ; sans colophane, le violon, le violoncelle &c ne produiraient aucun son sous l’archet. La colophane entre aussi dans la composition de vernis en lutherie. Les handballeurs et les danseurs utilisent la colophane, en poudre, pour, respectivement, que leurs mains adhèrent au ballon, et leurs chaussons à la piste.
Je me suis rendu à Nancy où j’ai rencontré un luthier qui m’a donné de la colophane. J’ai réduit cette colophane en poudre, en ai saupoudré les deux pierres, et ai mises ces dernières au four, avec la température réglée à 120 °C. (Moins chaud, la colophane ne fondait pas suffisamment.) Une fois que les deux pierres avaient été nappées, je les ai laissées refroidir. Puis j’ai posé les pierres l’une sur l’autre, colophane contre colophane, et je les ai remises à 120 °C. La pierre jaune a fini par s’enfoncer vers la pierre rouge à travers la colophane fondue. J’ai retiré la paire du four et ai délicatement, avec des mouvements circulaires, rapproché autant que possible la partie blanche de la partie rouge, afin que la couche de colophane soit la plus fine. Puis, pendant que la colophane refroidissait, j’ai parfaitement aligné la blanche avec la rouge.
(J’ai procédé ainsi en deux étapes pour éviter les bulles d’air dans la colophane entre les deux pierres – précaution excessive. Dans le temps, on procédait ainsi :
- Yo Wan a écrit:
- Les pierres découpées aux mêmes dimensions sont chauffées sur une plaque de poêle destinée aux fers à repasser. Puis l’une est posée sur de la poudre de colophane qui fond et l’enduit, ensuite sur l’autre pierre.
Il faut en effet que les deux pierres soient chaudes. Ma colophane fondue n’accrochait pas à de la pierre froide.)
Beaucoup de colophane avait débordé d’entre les pierres. J’ai d’abord retiré la majorité de ce qui a débordé au couteau, d’abord en raclant ce qui était encore fluide, puis en cassant ce qui était devenu solide (et en récupérant soigneusement la colophane pour le prochain collage de coticule) ; puis j’ai nettoyé le reste avec de l’essence de térébenthine, le solvant naturel de la colophane.
Pour être sûr de la solidité du collage à la colophane, j’avais auparavant fait un test en collant deux bouts de pierre lisse avec une toute petite quantité de colophane. La surface de collage était d’environ 8 cm² environ, et pourtant, tirez comme vous voulez, il était impossible de séparer les deux morceaux avec les mains.
Les deux pierres étaient maintenant solidement réunies. (La colle de peau aurait été un autre moyen ancien de réunir les deux pierres.) Restait à planifier la partie jaune. Les extrémités étant nettement plus épaisse que la partie la plus fine, plutôt que d’y aller à l’abrasif, j’ai préféré commencer par scier, car cela me paraissait plus rapide, et cela me permettait aussi de récupérer des petits morceaux de coticule.
Dans un étau incliné de telle manière que les mors soient verticaux, j’ai serré la pierre entre des petits tasseaux. Avant cela, j’avais placé des morceaux de cornière sur les mors, pour à la fois guider la lame de la scie et protéger les mors de celle-ci. J’ai utilisé simple une scie à métaux, de l’eau et du sable. Ma compagne déposait des pincées de sable sur la pierre, au niveau de la rainure pratiquée par la scie, et je versais de l’eau, qui emportait le sable dans la rainure et refroidissait le tout, avec une bouteille de sauce soja.
Ç’a été long. À la fin, la lame de scie avait perdu toute sa peinture bleue, était bellement polie, et ses dents étaient devenue bien rondes et douces.
J’ai scié bien au-dessus du niveau désiré, pour éviter tout risque de creuser dans la surface finale, ce qui m’a laissé encore beaucoup de matière à enlever ensuite à la meule à eau.
La meule à eau (motorisée, en carborundum,) a travaillé vite, et peut-être aurais-je mis moins de temps à retirer tout « l’excès » de coticule à la meule qu’en commençant à la scie ; mais alors je n’aurais pas obtenu de fragment de coticule pour faire un bout.
Après avoir dégrossi à la meule à eau, j’ai fini avec du papier de verre, allant du grain 120 au grain 1000, à sec.
Le collage à la colophane n'a souffert ni causé le moindre problème au cours de ces opérations.
Voici le résultat : (Le coin était abîmé à l'origine.)
Avec l’un des fragments de coticule obtenu par sciage, j’ai fabriqué un bout. J’ai scié un morceau d’une minuscule pierre de la même nature que la rouge sous ma coticule, (une pierre en parallélépipède rectangle de 100 × 20 × 7 mm, trouvée chez Emmaüs,) et je l’ai collé à mon fragment de coticule au moyen de colophane. Puis j’ai équarri le bout obtenu au papier de verre, et j’ai obtenu ceci :