Salut à tous !
Bon, ce n'est pas une première sur le forum, mais c'en est une pour moi : ce matin, "premier rasage" avec l'instrument barbare qui nous réunit ici. Autant dire que je ne faisais pas le malin, mais bon : c'est bien beau d'être attiré par le coupe-choux, mais la moindre des choses est tout de même de se lancer !
Avant cela, tout avait commencé bien évidemment par la trouvaille de ma lame, un Wade & Butcher. Oh, pas un truc de compèt' non plus hein, non, une lame assez simple, un 6/8 en assez bon état, qui m'avait fait de l'oeil. Adjugé, donc, et après quelques jours d'attente, nous étions réunis.
Pour le reste, j'avais déjà blaireau, savon, crème, pierre d'Alun et autre après rasage, me rasant jusque là au DE. Pour l'avant rasage, j'ai même une petite recette maison qui remplit bien son office : 3/4 d'huile de ricin (adoucissante, cicatrisante et hydratante entre autres vertus), 1/4 d'huile d'olive extra vierge, et 5 à 10 gouttes d'huile d'essentielle de lavande par dessus le tout. Ca prévient bien, et ca sent bon en plus. Bref, côté matos, j'étais a priori presque paré.
Je me suis fait confectionner par un artisan du cuir sur ma ville un paddle, avec une face douce (agneau repoussé) et une face un peu plus "âpre" (vachette) pour la pâte. l'objet est potable, négocié à vil prix, mais n'est pas non plus la panacée. Sur ce point, je ne saurais trop conseiller aux autres débutant de passer par des produits éprouvés, que l'on peut trouver à des tarifs tout à fait correct. Après coup, j'ai un peu le sentiment tout de même d'avoir joué à la roulette russe avec ma lame, même si je pense pouvoir dire que j'ai eu de la chance.
D'ailleurs, sans aide, je crois que j'en serais toujours au point de posséder un coupe-choux à peine digne de cisailler les pâquerettes !
Sur ce point, et après quelques vaines circonvolutions pour tâter de l'affilage, j'ai fini par me tourner vers un auguste membre du forum habitant non loin de chez moi : Richpa, que je ne saurais trop remercier ici pour m'avoir accueilli si gentiment, et prodigué ses conseils avisés. Selon lui, mon paddle offrait effectivement une face permettant un affilage honorable... après un bon ponçage du cuir par le maestro, l'autre étant à éviter sauf pour la pâte. Ca tombe bien, je l'avais prévue pour cela. J'ai pu voir chez lui des strops dignes de ce nom, le Kanayama du CCC (nom de Zeus que c'est doux), et une belle réalisation de Chewbacca.
Et ben c'est un autre monde tout de même ; d'ailleurs, si ce dernier m'entend, je compte bien me tourner vers ses soins prochainement (j'ai d'ailleurs glissé un petit mot à ce sujet dans sa messagerie, mais chut), quand j'aurai un peu affiné mon geste d'affilage (on ne va pas donner de la confiture aux cochons, non plus).
Concernant la dite technique, j'ai eu la chance de me faire sérieusement taper sur les doigts. Il s'est avéré que j'avais méchamment agressé ma lame en m'y essayant tout seul, même si j'avais bien pris soin de visionner des vidéos. Parce que via le Net, on ne visualise pas forcément bien justement à quel point il faut caresser le cuir, garder la lame en contact, tourner sur le dos pour aller vers la passe suivante... Rien ne vaut l'expérience en direct, tout du moins à mon sens, même si les vidéos offrent déjà un aperçu fort louable. Pour cela, Richpa, d'une grande abnégation, a été pour moi un formidable instructeur.
Exigeant, intraitable (normal, vu qu'il m'a fait l'honneur de me laisser travailler le geste sur son cuir perso), pour au final m'approcher d'un geste qui aura été sacrément rectifié. Entendons nous bien : j'ai à peu près compris cette fois-ci de quoi il retournait, j'ai encore de longues heures d'apprentissage devant moi avant d'avoir véritablement le coup de main ! Grâce à lui, j'ai pu constater que j'abordais le cuir avec la douceur d'un viking caressant l'adversité de sa hache. Parce qu'effectivement, quand on dit caresser, c'est rien de le dire : vu de près, les passes de Richpa sont magistrales de douceur, et le son feutré qui en émane ne l'est pas moins.
Bref, après un nombre conséquent de passes par le maître, à la pâte puis au cuir, il a commencé à ressortir quelque chose de mon Wade. Une autre vérité m'est apparue également. Selon Richpa, l'affilage d'une lame requiert un soin tout particulier, et une valeur cardinale : cela prend du temps, tout simplement. Je l'ai vu passer une bonne heure sur ma lame, juste pour obtenir un fil tout juste correct selon lui. Il n'a pas eu besoin de 15000 pierres, non, juste du cuir et de la pâte. De la patience, et un geste sans failles. Quand j'ai pu voir ses CC perso, j'ai pu constater la différence en effet : en dehors du fait qu'elles soient toutes plus somptueuses les unes que les autres, dire que ses lames tranchent est encore un doux euphémisme !
Il m'a proposé de déjà tester ce fil au rasage, et de le reprendre éventuellement ensuite pour lui donner un coup de pierre si nécessaire.
Après un après-midi des plus riches, j'avais les mirettes qui brillent, et plus qu'une envie en tête : attaquer mon premier rasage. Je m'y suis donc attelé ce matin. Après une douche bien chaude en bonnet difforme (sic), nous y étions. J'ai donc approché mon quintal du miroir avec l'assurance d'une vierge effarouchée. Mon Wade semblait me narguer de ses reflets froids. Pour me donner contenance, j'ai soigneusement préparé ma peau. L'eau bien chaude d'abord, puis l'huile, pas trop pour juste hydrater la peau sans qu'elle soit non plus trop glissante. Puis savonnage au blaireau avec le Proraso, jusqu'à obtenir une mousse bien dense et uniforme. Bon, ben nous y étions, après ça hein, y'a plus qu'à...
Je me suis donc lancé. Depuis la réception du Wade, je m'étais exercé à vide pour trouver une préhension qui me convienne, après un visionnage attentif de diverses vidéos, notamment celles de Chewbacca. Sur ce point, je ne me suis donc pas (trop) retrouvé désemparé. Sauf que. Sur la peau ou dans le vent, il y a un monde entre les deux ! Les premiers passages se sont avérés plutôt probants. M'appliquant à bien tirer sur ma peau (pas si facile, j'ai de bonne joues et des lunettes, ces satanées branches réduisent les prises), j'ai commencé à chercher le meilleur angle de lame, dans le sens du poil. Je n'ai pas voulu trop insister non plus : après tout, c'était un rasage du dimanche, l'objet n'était pas un illusoire BBS d'emblée. Presque arrivé au terme de ma joue gauche (je suis gaucher), j'ai commencé à négocier la bouche et son contour. Et là, une hésitation, une lame remontant trop à l'équerre : la coupure. Bon, pas grave, on continue, c'est pas bien méchant.
Ce n'est pas une légende, si la moustache est délicate, le menton est toute une épopée ! J'ai la "chance" d'être doté d'une fossette qui plus est, donc encore plus de creux et de bosses à appréhender. Bizarrement, je m'en suis néanmoins tiré sans dégâts, avec un résultat restant à parfaire toutefois. Alors que je craignais ce sens, la joue droite s'est déroulée sans histoires, pas de rouge à déplorer. Sauf au coin de la bouche, là encore : décidément, une zone à surveiller à l'avenir !
Restais à aborder le cou. Au passage, le Proraso est tout de même sympa avec les débutants, la mousse était toujours fraîche, rien de sec. Là encore, c'est plutôt bien déroulé, avec un résultat discutable cependant : même au DE, j'ai toujours eu du mal avec les côtés du cou, où persistent souvent quelques poils rétifs...
A ce stade, et même si j'avais lu les précieux conseils au néophyte de Rem44, je ne suis enhardi un peu. Allez hop, une seconde passe en biais, soyons fou. Elle s'est avérée plutôt facile, mais ma lame qui depuis le début ne me semblait tout de même pas trancher comme je l'aurais espéré faisait un peu râpe. Qu'importe me suis-je dis, allons y tout de même, pour la science. J'aurais sans doute du en rester là, et terminer pour aujourd'hui au DE. côté moustache, une belle éraflure m'a ramené à plus de modestie. J'ai malgré tout bouclé la joue droite, puis me suis résolu à clore les débats. Au final, assez fier quand même de cette première à ce moment là.
Vint alors le rinçage à l'eau froide. Houla, ça picote quand même ! Certes. Mais ce n'est rien à côté de la pierre d'Alun ensuite. Ceci étant, étant habitué à cette étape, je sais que si elle peut parfois être désagréable, elle coupe court aux saignements et m'évite les rougeurs. Pour ma peau sensible, c'est devenu un passage obligé. Mais j'ai tout de même eu l'honneur et l'avantage d'éprouver un feu du rasage que je n'avais pas connu depuis bien longtemps !
Bon, ça c'est quand même un peu calmé avec l'après rasage. Et puis, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même : j'aurais du me limiter à une seule passe, et ma lame n'était peut-être pas encore au top. Pas de quoi me repousser pour autant. Bien au contraire. J'ai adoré toute l'attention que requière l'exercice, on est dans l'instant, et cette première expérience aura été riche d'enseignements.
Au premier rang de ceux-ci, le rappel cuisant que patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage. Les coupe-choux n'est pas un Mach 3, il ne flatte pas, ne triche pas, ne ment pas : il tranche, entre un geste éprouvé, une bonne préparation, et un abord approximatif et/ou empressé. Juge de paix implacable, il saura ramener l'impétueux à plus d'humilité et de respect envers son fil.
Je suis convaincu qu'avec un peu de persévérance, il saura tout aussi bien se montrer magnanime et m'offrir le plus doux des rasages quand ma main se sera assurée. Pour cela, j'entend bien progresser par étapes à présent, avant que d'arriver aux trois passes dont je suis coutumier avec le DE. Chaque chose en son temps. Toujours est-il que quelques heures après, tout feu éteint, je suis bien content d'avoir franchi le pas, j'ai repensé à mon grand-père qui nous faisait étrenner sa barbe glabre le matin, quand j'étais minot... J'ai le sentiment de m'être inscrit dans une histoire, une tradition, d'avoir redonné une vraie noblesse à ce geste simple du quotidien.
Bref, touché, je crois que je suis mordu. J'espère que ce témoignage ne fera pas fuir d'autres débutant n'étant pas encore passé sous le fil. Il a plus pour objet de faire partager, de réfréner ceux qui aurait tendance comme je l'ai fait à se laisser porter par trop d'enthousiasme. Prudence est mère de sureté, c'est rabâché en long, en large et en travers sur le forum, et vous savez quoi? Ce n'est pas pour rien.
La première fois n'est surement pas la meilleur, et c'est heureux. C'est en forgeant que l'on devient forgeron, et en sciant que Léonard de Vinci. Sur ces bonne paroles, je sors et vous salue bien.